Nouveau
guide des médicaments pour le patient et le médecin
François
MORAND
15 mai
2001
C’est
la volonté d’informer au mieux les patients qui a conduit le Professeur
Jean-Paul Giroud et le Docteur Charles Hagège
à publier il y a 17 ans un guide de l’automédication. Depuis cette
première édition, ils ont évolué dans leur réflexion et ils proposent
aujourd’hui pour la huitième édition un guide évaluant tous les
médicaments disponibles en France. Il ressort de cette analyse que
près d’une spécialité pharmaceutique sur deux serait inefficace.
Informations
délivrées par le guide
Un
ouvrage de référence ?
Remise
en cause des médecins ou aide à la prescription ?
Les
conclusions du guide face aux dépenses de santé
Dans
un contexte de forte hausse des dépenses de médicaments remboursables,
le recours à l'automédication est pourtant de plus en plus fréquent
chez les Français. Mais les médecins sont inquiets des dangers potentiels
induits par cette automédication. En effet, les patients ont tendance
à considérer les médicaments en vente libre comme inoffensifs alors
que ceux-ci comme tout médicament sont susceptibles d'entraîner
des incidents voire des accidents plus ou moins graves.
C’est
la volonté d’informer au mieux les patients qui a conduit le Professeur
Jean-Paul Giroud1 et le Docteur Charles Hagège2
à publier il y a 17 ans le premier guide français sur l’automédication.
Depuis cette première édition, ils ont évolué dans leur réflexion
et la grande nouveauté pour la huitième édition est qu’une note
a été attribuée à l’ensemble des médicaments disponibles en France.
Informations
délivrées par le guide
Si
le premier guide se voulait être un ouvrage d’automédication aidant
les patients à choisir des médicaments vendus sans ordonnance, cette
nouvelle édition va beaucoup plus loin. Il a en effet la volonté
de dire la vérité sur l’efficacité réelle de tous les médicaments
disponibles en France. Pour le professeur Giroud, «les médicaments
de prescription étaient déjà présents dans l’édition précédente
du guide, mais sans le système de notation. Or, sachant que 18%
de ces spécialités étaient plus que discutables, le pas a finalement
été franchi pour cette nouvelle édition.» Ainsi, son ambition est
de ne pas s’adresser uniquement aux patients, mais également aux
médecins et aux pharmaciens en leur fournissant des informations
qui ne sont pas forcément toujours à leur disposition dans leurs
dictionnaires habituels.
Ce
guide s’articule principalement autour de trois parties :
- Un guide
des symptômes et des maladies : répertoriés par ordre
alphabétique, ceux-ci sont décrits de façon détaillée. En effet,
au delà des manifestations et des causes, sont indiquées la conduite
à tenir ou les précautions à prendre (notamment si une visite
chez un médecin s’impose). De plus, si des médicaments sont proposés
à la fin de chaque symptôme, ils ne concernent bien évidemment
que ceux vendus sans ordonnance.
- Une liste
des médicaments existants : classés par ordre alphabétique,
ces médicaments sont répertoriés par classes thérapeutiques ou
pharmacologiques, par substance active, par marque de génériques
ou par dénominations communes internationales (DCI) de substances
ayant fait l’objet de génériques.
- Un guide
des médicaments : plus de 10000 médicaments disponibles
avec ou sans ordonnance sont répertoriés par ordre alphabétique.
C’est une véritable notice explicative qui est fournie, puisque
figurent la composition et la classe thérapeutique du produit,
ainsi que le prix et le taux de remboursement par la Sécurité
Sociale. De plus, une large place est réservée aux contre-indications
et interactions médicamenteuses envisageables, ainsi qu’aux posologies
quotidiennes pour adulte et enfant. Et les auteurs n’hésitent
pas à conseiller la visite chez le médecin pour des situations
particulières.
Mais
la grande nouveauté de cet ouvrage est le système de notation mis
en place, puisque tous ces médicaments sont notés de 0 à 20 en fonction
de leur efficacité. Les auteurs ont mis en place une notation «basée
à la fois sur l’efficacité et la tolérance de la spécialité, mais
également en tenant compte des indications thérapeutiques. A titre
d’exemple, des médicaments contenant du phénobarbital (par exemple
le Cardiocalm®) ne devraient plus être conseillés depuis plus
de 50 ans dans le traitement des troubles légers du sommeil, des
manifestations mineures de l'anxiété et de certains petits troubles
du rythme cardiaque, cette substance devant être exclusivement réservée
au traitement de l’épilepsie !» Ainsi, une note élevée va témoigner
d’une bonne efficacité du produit doublée d’une bonne tolérance
pour un symptôme donné. Au contraire, plus la note est basse et
se rapproche de 0, plus l’efficacité est faible voire nulle, la
tolérance et le risque pouvant même devenir dangereux pour le patient.
Cela n’empêche pas les auteurs de rester souvent humoristiques dans
leurs commentaires, comme par exemple pour l’élixir Bonjean («il
s’agit, vu la quantité d’alcool, plutôt d’un apéritif à 18° en vente
dans les pharmacies depuis 1900»).
De
ces critères, il ressort que seuls 55% de l’ensemble des spécialités
pharmaceutiques se voient attribuer une note supérieure à 11 sur
20, ce qui correspond au seuil d'efficacité reconnue des médicaments.
Ce jugement est sévère puisqu’il induit que près d’une spécialité
sur deux serait inefficace, voire même dangereuse pour certaines !
Bien sûr, les auteurs précisent par ailleurs qu’il n’existe pas
forcément actuellement sur le marché le médicament parfait pour
chacune des pathologies.
Un
ouvrage de référence ?
Le
succès commercial des précédentes éditions (350 000 exemplaires
vendus) démontre le besoin d’information ressenti par les patients.
Ce guide se veut donc être un ouvrage de référence pour eux, un
moyen pour les aider à faire un choix parmi les médicaments, délivrés
sans ordonnance, disponibles en France. Evidemment, ce type de document
doit être irréprochable, car il est nécessaire de transmettre des
informations justes et non dangereuses pour les patients qui ne
possèdent pas de connaissances médicales. Cependant, le sérieux
reconnu des auteurs plaide pour eux, et leur travail n’est pas remis
en cause.
Par
contre, le système de notation est plus diversement apprécié. Ainsi,
on grince un peu des dents à l’AFSSAPS
(Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, anciennement
Agence du médicament) car l’analyse sévère sur certaines spécialités
n’épargne pas cette institution responsable de la délivrance des
autorisations de mise sur le marché. Le point de vue des auteurs
n’est pas forcément toujours partagé et certains commentaires acides
sont mal perçus. Mais pour le professeur Giroud, qui y siège en
tant que représentant de l’Académie de Médecine, «c’est une information
‘’officielle’’ qui est donnée aux médecins, et pas forcément une
information objective. Les médecins n’ont essentiellement que le
Vidal pour avoir des informations sur les médicaments. Or, quand
on sait que n’y figure comme données que ce que l’industrie pharmaceutique
veut bien fournir (et 3000 médicaments n’y figurent même pas !),
on comprend qu’il puisse y avoir un vrai manque pour les médecins.»
A
contrario, les presses généraliste et spécialisée saluent cette
initiative. Et curieusement, les auteurs «n’ont reçu que deux courriers,
en 17 ans, de la part des laboratoires pharmaceutiques, bien que
ceux-ci soient parfois durement ébranlés par certains jugements !»
Remise
en cause des médecins ou aide à la prescription ?
La
volonté de ce guide est de toucher les médecins au delà même des
patients. Si les patients réclament de plus en plus d’informations
sur leur santé, et donc notamment sur les médicaments qu’ils utilisent,
le professeur Giroud constate que «les médecins ont un vrai déficit
en ce qui concerne la connaissance des médicaments. A la base, il
y a une mauvaise formation, avec trois fois moins d’heures de cours
qu’il y a 30 ans sur le bon usage du médicament, alors qu’en outre
de nombreuses spécialités nouvelles sont apparues. C’est notamment
pour remédier à cette situation que j’ai créé pour mes étudiants
un certificat optionnel qui doit leur donner des connaissances sur
des médicaments essentiels laissés de côté dans le cursus classique.»
Ainsi, ce sont seuls les pouvoirs publics qui sont responsables
de cette régression, et non les médecins eux-mêmes qui subissent
les conséquences de cette situation.
Ceci
dit, le médecin ne peut-il pas tout de même se retrouver fragilisé
par ce système de notation face à son patient ? En effet, un
médecin qui prescrirait un médicament, dont la note est inférieure
à 10, pourrait voir son patient s’interroger sur ses compétences
et sur l’efficacité du traitement. Pour le professeur Giroud, ce
reproche n’a pas vraiment lieu d’être, car «le médecin peut constater
la justesse du jugement en analysant vraiment les caractéristiques
du produit. De plus, il peut ne pas exister forcément sur le marché
une spécialité plus efficace. En fait, l’ensemble de ces informations
doivent permettre une meilleure compréhension de l’effet des médicaments,
et donc un meilleur usage. Il suffira ainsi pour le médecin d’expliquer
clairement la situation à son patient, et cela permettra aussi d’optimiser
les relations du triptyque patient/médecin/pharmacien.»
Ce
guide peut être une véritable banque de données exhaustive pour
les médecins, plus complète que le Vidal.
Ceux-ci étant en manque d’informations, l’AFSSAPS devrait les leur
fournir sur l'ensemble des médicaments commercialisés en France,
avec une mise à jour en temps réel, mais la réalité semble tout
autre. La solution pourrait être la mise en place d’une base de
données en ligne par l’AFSSAPS reprenant l’ensemble des informations
disponibles pour toutes les spécialités pharmaceutiques. Cette éventualité
a été étudiée et même votée, «mais le décret d’application n’est
toujours pas paru. Ce qui implique que ce projet ne verra sûrement
pas le jour avant 2 ou 3 ans, si tout va bien» déclare le professeur
Giroud qui est par ailleurs ouvert à toute proposition pour la mise
en ligne de son guide (voir aussi : le guide des
médicaments sur le site Doctissimo).
Les
conclusions du guide face aux dépenses de santé
De
façon plus pragmatique, on peut dire que ce guide mesure finalement
le service médical rendu de toutes les spécialités remboursables
ou non. Or, dans un contexte d’explosion des dépenses de santé,
le bilan pour le moins critique de ces analyses pourrait accréditer
la thèse d’une baisse ciblée des remboursements de médicaments voire
un déremboursement pour les spécialités les plus remises en cause.
Cependant, ce n’est pas vraiment l’orientation choisie par les pouvoirs
publics qui craignent sûrement de mettre en place des mesures forcément
impopulaires. Ainsi, le professeur Giroud pense «qu’il s’agit probablement
d’une bonne solution, mais qu’elle est malheureusement quasiment
inapplicable politiquement. Par contre, il serait judicieux de mieux
rembourser les médicaments reconnus comme étant les plus efficaces.
Au lieu de cela, on joue sur les prix ou on baisse les taux de remboursements
en gardant l’essentiel des médicaments, ou encore on décide de "génériquer"
des médicaments pourtant inefficaces. De telles décisions nécessiteraient
un réel courage politique.»
Si
l’on pourrait être éventuellement circonspect face au système de
notation de ce guide des médicaments, le sérieux et la renommée
des auteurs sont aujourd’hui reconnus. Et l’éloge quasi général
fait à la fois par le public et par le corps médical explique sûrement
le succès rencontré par cet ouvrage. Et le premier tirage à 25 000
exemplaires pour cette édition démontre que le besoin constant d’information
de la population dans le domaine de la santé devrait garantir une
nouvelle fois son succès.
«Le
guide Giroud-Hagège de tous les médicaments», par le professeur
Jean-Paul Giroud et le docteur Charles Hagège, Editions du Rocher,
235F.
1 :
le Professeur Jean-Paul Giroud est Professeur de médecine, Docteur
ès sciences de l’Université de Paris et de Londres, chef du Service
de Pharmacologie Clinique à l’Hôpital Cochin, expert de l’OMS sur
l’évaluation et représentant de l’Académie de Médecine à l’AFSSAPS.
2 :
le Docteur Charles Hagège est Docteur en médecine, Ancien interne
des Hôpitaux de Paris, Ancien chef de clinique à la Faculté et Assistant
des Hôpitaux, spécialiste des maladies de l’appareil digestif, Membre
de la Société Française d’Endoscopie Digestive et International
Member of the American Gastroenterological Association.
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