Les
abus
des pharmacies électroniques
Christine
BOUCHET
20 juillet
1999
Comme
nous lindiquions dans un article
paru le 14 juin 1999, les pharmacies électroniques se développent
comme des champignons sur le Web de langue anglaise et, avant même
que ce phénomène ne touche la France, des tentatives de régulation
apparaissent face aux abus observés. L'évolution de ces nouveaux
modes de délivrance mérite donc dêtre analysée, pour éviter
de reproduire les erreurs commises outre-Atlantique.
Des prescriptions
illégales sur Internet
Comment obtenir du
Viagra ou du Xenical (la "pilule anti-obésité") sans consulter
un médecin ? Sur certains sites Web, rien n'est plus facile. Il
suffit de remplir un questionnaire sur son état de santé, de donner
son numéro de carte bleue, et quelques jours plus tard les médicaments
arrivent à domicile par voie postale.
De nombreux sites,
dont beaucoup sont situés aux Etats-Unis, proposent ce service.
Une simple requête avec les mots Viagra ou Xenical sur
un moteur de recherche permet d'accéder à des dizaines de pages,
comme celles du Net
Doctor ou de KwikMed.
Légalement, ces médicaments
ne sont délivrés que sur ordonnance. Les pharmacies électroniques
contournent le problème en proposant aux internautes des consultations
on-line. La consultation est en fait un questionnaire médical plus
ou moins détaillé qu'un médecin est censé valider avant de faire
la prescription. La société facture ensuite au client le prix d'une
consultation et celui des médicaments.
Il n'est pas illégal
de commander ces produits quand un médecin les a prescrit. Mais
est-il légal pour un médecin de prescrire des médicaments sans avoir
vu le patient ?
Si ces produits ne
peuvent pas être délivrés sans ordonnance, c'est parce qu'ils sont
susceptibles d'être dangereux. Le Viagra associé à des dérivés nitrés
peut provoquer des arrêts cardiaques. Le Xenical, qui empêche partiellement
l'absorption des graisses au niveau digestif, est en principe réservé
au traitement de l'obésité, et le traitement ne doit être entrepris
que si un régime seul a montré une certaine efficacité.
Un patient désireux
de se procurer ces substances peut facilement passer sous silence
le fait qu'il a des antécédents cardio-vasculaires, ou surestimer
son excès de poids. Le médecin qui valide le formulaire électronique
n'a aucun moyen d'en vérifier les informations.
Le commerce de médicaments
sur Internet occasionne d'autres dérives. Dans l'état du Kansas,
un mineur a réussi à se procurer des médicaments contrôlés. Il avait
pourtant renseigné le formulaire en indiquant sa vraie date de naissance,
ce qui tendrait à prouver qu'aucun médecin n'avait réellement vérifié
l'information. Dans d'autres cas, les médecins n'étaient pas autorisés
à exercer dans l'Etat en question, ou les pharmacies n'étaient pas
inscrites au registre officiel. Une pharmacie avec une adresse en
Arizona était en fait située ailleurs, et le médecin présumé était
un vétérinaire en retraite vivant à Mexico. Enfin dans un registre
nettement frauduleux, une société allemande distribuait des bonbons
à la menthe colorés en bleu, qu'elle vendait comme du Viagra
Le commerce sur Internet
abolit les frontières, et la loi n'identifie pas clairement à quel
endroit se fait la transaction, ni qui peut la contrôler. Les sociétés
mettent donc à profit l'hétérogénéité des législations nationales.
Ainsi les américains peuvent se procurer outre Atlantique des tranquillisants
comme le Xanax, des hypnotiques comme le Rohypnol qui n'est pas
disponible aux Etats Unis, des stéroïdes anabolisants, ou du Demerol.
La réaction
des pouvoirs publics aux Etats-Unis
Tous ces abus représentent
un danger pour la santé publique et nuisent à l'image des pharmacies
électroniques. C'est pourquoi aux Etats-Unis, l'American
Medical Association (AMA), en accord avec la National
Association of Boards of Pharmacy, tente de résoudre le problème
des rogue pharmacies (pharmacies "malhonnêtes").
Un programme de certification
des pharmacies électroniques a donc été mis en place. Pour être
"VIPPS certified" (Verified Internet Pharmacy
Practice Site), les pharmacies doivent remplir un certain nombre
de critères de qualité (respect de la confidentialité, de la sécurité,
et des aspects législatifs dans l'Etat où elles sont implantées).
La Federal Trade Commission (FTC) lance également
une campagne de communication pour avertir les consommateurs des
dangers éventuels. Ainsi, le site du Department
of Health and Human Services leur donne des pistes pour évaluer
la qualité des informations fournies sur les sites de santé.
Cependant ces procédures,
fondées sur le volontariat, sont insuffisantes pour freiner les
agissements des vendeurs indélicats. Or aux Etats-Unis comme ailleurs
dans le monde, il existe un vide juridique autour du commerce électronique.
En l'absence de loi fédérale, la FDA est relativement impuissante,
bien qu'elle ait quand même réussi à faire fermer certains sites.
La Drug Enforcement Agency (DEA) est également concernée,
mais elle n'a que peu de moyens d'action.
D'après l'AMA, les
médecins qui prescrivent sans avoir examiné le patient doivent être
pénalisés. Certains états commencent à réagir. Ainsi dans l'Illinois,
un des médecins travaillant pour The
Pill Box à San Antonio a été suspendu pour avoir prescrit du
Viagra en ligne. Dans le Kansas, sept pharmacies électroniques ont
été poursuivies en justice. Cependant si les pouvoirs publics américains
peuvent réguler la prescription faite aux Etats Unis, ils ne peuvent
pas réagir face aux acteurs internationaux.
Suite
et fin (2/2)
20 juillet
1999
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