La qualité
de service devient un facteur concurrentiel majeur
Devant labondance
de loffre, la chute dun serveur, larrêt momentané
dun service en ligne peut conduire à de graves déconvenues.
Les internautes, peu fidélisés, souvent impatients, passent rapidement
vers un autre service, équivalent. Si Amazon ne fonctionne pas,
ils vont chez BOL. Si eBay est indisponible, ils passent sur Auction.com.
Alors que les vétérans
du Web acceptent encore les imperfections du média, les nouveaux
venus zappent aussi vite que face à la télévision. Ils attendent
du Web la même qualité de service que dans le domaine audiovisuel.
Comme le dit Seema Williams, du cabinet Forrester Research, " there's
going to be zero tolerance for site delays ". Elle ajoute
que les nouveaux utilisateurs du Web (les newbies comme
les ont surnommé les Américains) ne savent pas que le réseau est
lent de nature. Ils nacceptent pas de devoir recharger une
page plusieurs fois lorsque son affichage pose problème.
Lenjeu est dautant
plus important que les internautes sorganisent, au sein des
forums ou sur des sites dintermédiaires spécialisés (comme
Deja.com), pour
condamner les sites ayant déçu leur public par des bugs ou des connexions
trop lentes. Des communautés dutilisateurs déçus vont même
jusquà signer des pétitions, comme ce fut le cas pour eBay,
afin de stigmatiser la mauvaise qualité de service des opérateurs
détaillants. Il est alors difficile de se refaire une image de qualité :
en juin, Cnet publiait un article intitulé " eBay
plante : rien de nouveau ".
Les mauvaises réputations
se transmettent sur le Web plus vite que les paquets IP, provoquant
des cycles de popularité ou des phénomènes dostracisme imprévisibles.
Laudience des grands sites évolue dailleurs en dents
de scie mois après mois, en fonction des campagnes de communication
et des nouveaux services proposés mais également en fonction des
pannes (un jour darrêt sur Amazon diminue mécaniquement laudience
de 3%, auxquels il faut ajouter la baisse daudience dans les
jours qui suivent, provoquée par la désaffection des internautes
déçus.) Linertie est forte face aux problèmes de qualité :
si un site ne marche pas, les internautes attendront plusieurs jours,
voire plusieurs semaines dans certains cas, avant de tenter de se
connecter à nouveau.
Sur le marché hyper-compétitif
des enchères en ligne, par exemple, les pannes deBay se sont
traduites par un déplacement massif et rapide dune partie
de laudience vers les sites concurrents, comme Amazon
Auction et Yahoo
Auction. Le challenger Auction
Universe a même connu une croissance de 50 % de son audience
dans la deuxième semaine de juin, marquée par le double plantage
deBay. Les interruptions de services ont un tel impact sur
les parts de marché que des stratégies de mise en échec peuvent
être mises en uvre par des concurrents mal intentionnés. La
technique est simple ; elle consiste à sur-solliciter un site
en lui adressant automatiquement des milliers de requêtes simultanées,
impossibles à satisfaire.
Une récente étude du
cabinet Jupiter a
évalué les chocs induits par les pannes sur les parts daudience.
Sur la population dinternautes interrogés, il apparaît que :
53 % ne modifient pas leurs habitudes
de consultation lorsquils sont confrontés à une panne sur
un service, et restent fidèles au site.
13 % trouvent un autre site, mais
reprennent leurs habitudes de consultation anciennes lorsque le
service dont ils ont lhabitude est de nouveau fonctionnel.
24 % trouvent un autre site, puis
prennent lhabitude de consulter alternativement lun
et lautre service.
9 % partent définitivement du site,
et ny reviennent plus.
Cet impact mériterait
dêtre pondéré en fonction du secteur dactivité (quelle
concurrence ? quelle substitution possible ?), de la marque
(quelle fidélisation ? quel capital de sympathie ?), du
service mis en uvre (information ou processus de vente en
temps réel ?) et des cibles visées (newbies
vs oldies, etc.). Les responsables des sites E*Trade
et Charles
Schwab (investissement en ligne) assurent par exemple que leurs
pannes à répétition nont pas entravé leur croissance. "Les
utilisateurs nous ont pardonné", affirment-ils. Dans ces circonstances,
la politique de communication des services Web est fondamentale.
Les internautes attendent des excuses, et des engagements sur la
politique damélioration du service. Si ces conditions sont
respectées, ils conservent leur confiance au site. E*Trade a pu
ainsi faire oublier ses pépins techniques, là où eBay, en essayant
de minimiser les incidents, a provoqué la colère des internautes.
" We
found customers were sympathetic as long as we communicated forthrightly
with them about what was going on our site, and what our plans were
to continually improve customer service and uptime."
David Murray, porte-parole
dE*Trade
Compréhensifs, les
analystes du Web affirment que les pannes sont un phénomène obligatoire
pour tout nouvel opérateur du Web. Les pannes à répétition de sites
à fort potentiel comme celui de Toys
"R" Us ou Buy.com
montrent à tous les prétendants au e-business que les problèmes
techniques, surtout en matière dhébergement, sont partie intégrante
de leur courbe dapprentissage. [Pour en savoir plus :
Outages
inevitable for novice e-tailers].
Comme lindique
un analyste :
"There's no
blueprint for this. There's no history of launching a Virgin Megastore
online. The applications are buggy and fragile, integration work
is being done for the first time."
Même les sociétés habituées
à gérer des réseaux informatiques denvergure et des chaînes
logistiques complexes ne sont pas préparés au Web, les contraintes
du e-business en terme de volumétrie, darchitectures dynamiques
et de maintenance dépassant tout ce qui a pu être expérimenté jusquà
aujourdhui en matière dEDI. Pour Cormic Foster, analyste
du Cabinet Jupiter
Communications, nous ne sommes quau début des problèmes
de qualité :
"Largely,
not anyone is ready for the demand. These companies are cursed by
their own success. I don't think you'll ever stop seeing these things
happening, at least while the Internet is still in growth mode."
La pénurie
dinformaticiens accentue les problèmes dhébergement
IDC
estime à 1 million le nombre d'informaticiens manquants en 1999.
En 2002, l'Europe à elle seule manquera d'un million d'informaticiens.
Aux Etats-Unis, c'est plus de 850 000 personnes qui seront demandées
la même année. Le cabinet d'études indique qu'en 2002, le nombre
de nouveaux emplois dans le secteur informatique représentera 25
% du nombre total d'employés dans ce secteur en 1999.
La pénurie de personnel
qualifié dans le domaine du Web et des nouvelles technologies de
linformation est davantage dû à un manque de formation et
à un phénomène d'usure en entreprise qu'à un manque quantitatif
de personnes susceptibles d'être rapidement qualifiées. Les entreprises
doivent apprendre à travailler en sous-effectif chronique, à adapter
leur fonction de production en tenant compte dun turn-over
élevé, et mettre en place des modes spécifiques de gestion des ressources
humaines, pour retenir leurs collaborateurs et développer les compétences
de leurs salariés.
Cette instabilité humaine
sajoute à celle des technologies manipulées sur le Web. Face
à cette double contrainte inédite dans lhistoire économique
et industrielle, les entrepreneurs sont contraints dinventer
au jour le jour un chemin critique selon un modèle inspiré de la
théorie du chaos.
Lenjeu des start-up : passer dune
logique de R&D à une logique dexploitation industrielle
Pour les opérateurs
du Web, lenjeu dépasse à vrai dire les strictes questions
dhébergement : ce sont lensemble de leurs processus
de conception, de développement, de production et de gestion qui
doivent être industrialisées, normalisées, formalisées, en un mot
stabilisées dans les mois et les années qui viennent. Les facteurs
clefs de succès évoluent. Alors que les start-up devaient, pour
réussir, faire preuve dimagination, de souplesse, dacharnement,
elles doivent aujourdhui retrouver une certaine normalité,
atteindre la maturité. Les jeunes sociétés du Web sont traditionnellement
des structures souples, peu hiérarchisées, non bureaucratiques,
où un ensemble de jeunes gens poursuivent un objectif commun, spécifique,
sans vraiment se soucier de tout lenvironnement de travail
et de gestion. Le développement des applications requiert déjà trop
de temps, trop de ressources. Les coûts de R&D et de formation
atteignent près de 50% du chiffre daffaires, et ce coût augmente
à cause des tensions sur le marché du travail et de lévolution
rapide des technologies.
Le modèle de développement
et dapprentissage propre au Web, le "learning
by doing", autorise les erreurs, les bugs, les essais,
les imprécisions. La Net économie, comme laffirmaient les
observateurs jusque récemment, était une "beta économie",
un monde fait de versions intermédiaires : Netscape et Microsoft
délivraient sur le marché des navigateurs dont le développement
était à peine terminé, et personne ne soffusquait de leurs
multiples bugs. Tout le monde acceptait de télécharger successivement
les multiples versions dun même logiciel.
En lieu et place du
"learning by doing" doivent désormais
simposer des fonctions de production formalisées à lavance,
répétitives, documentées, où lobjectif recherché nest
plus linnovation mais des gains de productivité et defficience.
Changement de culture, changement de modèle, changement déquipes
aussi. Les hommes, informaticiens, concepteurs dapplications,
managers qui jouèrent un rôle décisif dans le lancement des start-up
nont ni les capacités, ni lenvie, de se transformer
en maillons dune entreprise "normale", adulte. Cette
nécessaire rupture fut symbolisée à léchelle du Web par le
retrait de Marck Andressen (lhomme qui vous accueillait dans
le logiciel Netscape par un message de bienvenue inséré dans la
messagerie) de lorganisation de Netscape : le règne des
inventeurs se terminait, celui des gestionnaires et des marketers
commençait.
" Early
strategies that might have focused on identifying a market opportunity,
establishing a brand, and attracting potential customers to the
site must give way to the nuts and bolts of execution. Optimizing
merchandising, distribution, and fulfillment, as well as developing
world-class technology that is both scalable and reliable, are significant
challenges that often require a skill set different than what was
required in a firm's early years. "
( ) Just as
we've seen few traditional companies experience success in the early
days of the Internet, not all Internet start-ups will successfully
pass through this next stage of evolution. Those that do will have
found that delicate balance between exploration and exploitation. "
Pour réussir ce passage,
les start-up ont avant tout besoin de conserver la confiance de
leurs actionnaires, de leurs clients et des internautes. Cela suppose
que les reproches qui leur sont adressés tiennent compte des standards
du marché, notamment en ce qui concerne la qualité de leur hébergement.
Cela suppose également quon prenne en compte la pénurie de
ressources face à laquelle elles se trouvent, à un moment où elles
sont sommés de passer à une phase industrielle de leur développement.
Quelques
témoignages sur des pannes restées célèbres
" Here's
the bad news: More crashes will undoubtedly happen. High-traffic
e-commerce sites are pushing the technology envelope well
beyond its means, sometimes inventing and relying on unproven
systems in an effort to stay ahead of traffic demands. "
PC
week, juin 1999
Tous les jours,
des pannes surviennent sur les grands sites vedettes du Web.
Le journal Cnet
recense 148
épisodes sur ce thème. Nous avons retenu pour notre part
les interruptions de service (outages) les plus marquantes
de ces derniers mois :