"Pour
des raisons économiques, eurimed.com est contraint de cesser
son activité à partir du 26 avril 2001 (...). Nous
regrettons cette situation et soyez assurés que nous avons
déployé tous nos efforts afin de trouver des solutions
permettant de continuer à faire vivre nos sites. Malheureusement
cela s'est révélé impossible". Quatre
ans après sa création Eurimed allonge la liste des
sites santé qui mettent la clef sous la porte. Le site de
communautés de médecins étant mis en liquidation
judiciaire, aucun membre de l'équipe dirigeante n'a souhaité
en dire davantage.
L'ex-SurgeonLine avait remporté de nombreuses distinctions.
A son palmarès, le prix du meilleur projet Capital-IT en
1999, le prix Netscape et Internet Professionnel de la Cyber-Entreprise
en 1998, une nomination aux Clics d'or la même année,
et enfin une place de second en Ile-de-France aux eLectrophées
organisés par le Ministère de l'Economie, des Finances
et de l'Industrie dans la catégorie "PME vendant aux
entreprises" qui distinguent les espoirs français de
la Net-économie.
L'avenir semblait sourire à Eurimed qui avait réussi
à lever 27 millions de francs l'an dernier. Le 17 mars, un
onzième site était même lancé en partenariat
avec le CARO (Club des Anesthésistes-Réanimateurs
en Obstétrique) et le SNPHAR (Syndicat National des Praticiens
Hospitaliers en Anesthésie-réanimation). La surprise
est donc de taille, d'autant que le communiqué
qui accueille le visiteur sur le site reste assez évasif.
Le
modèle payant est-il viable ?
La
grande originalité d'Eurimed était d'être un
portail communautaire réunissant de nombreux sites de sociétés
savantes ; c'était aussi d'avoir adopté un modèle
payant tandis que tous les autres sites proposaient leurs informations
en libre accès. Mais la pression du marché avait été
trop importante : tout le monde étant gratuit, il avait fallu
s'aligner. Chacun des entreprenautes fait aujourd'hui le pari qu'il
figurera parmi les derniers survivants et qu'alors il sera bien
temps de passer à un modèle payant. Entre temps ils
se livrent à une sorte de dumping pour imposer une marque
et en profiter pour fidéliser un public. La fin est prévisible
: les comptes, de quelque société que ce soit, ne
peuvent demeurer indéfiniment dans le rouge.
Paradoxe : la vision initiale d'Eurimed pourrait s'imposer dans
les mois qui viennent puisque la plupart des services sur Internet
sont en train de devenir payants, à l'instar de Notredocteur
et de son Club Premium.
Qui
offrira la "killer application" ?
L'euphorie
étant retombée, force est de reconnaître la
lenteur avec laquelle les médecins font leur apprentissage
de l'Internet. Tout cela prendra du temps. Rappelons-nous qu'il
a fallu toute la décennie des années 80 pour que les
PC s'imposent dans les entreprises et deviennent aussi irremplaçables
qu'un bloc-note et un stylo.
Pour acquérir ce caractère incontournable, il faudra
que les sites offrent une "killer application". Ce service
qui produit une plus-value tellement significative, que le médecin
qui ne se connectera pas régulièrement au site se
trouvera en position de faiblesse scientifique ou économique
par rapport à ses confrères. Nous en sommes encore
loin. Tous les sites ou presque proposent de l'information plus
ou moins bien documentée ou organisée. L'offre en
la matière est pléthorique. Il est pour l'heure aussi
impliquant aujourd'hui d'aller sur un site que d'aller prendre Paris
Boum Boum dans une boulangerie. Exemple symptomatique : l'oubli
de son mot de passe dont tout le monde a fait l'expérience
un jour. Ils se multiplient et le visiteur finit pas ne plus s'en
rappeler (à ce sujet lire notre interview
de Pierre Rimbaud Directeur général de Medipasse.net).
Admettons que cela arrive plus rarement avec sa carte bancaire qui,
elle, a de la valeur. Les listes de diffusion sont un service qui
font aujourd'hui la différence : discussions entre confrères
et revues de presse.
Il
est également évident que l'effet de notoriété
joue un rôle important. Un site qui s'appelle les Echos ou
la Tribune dispose déjà d'une forte notoriété
et de la reconnaissance d'une compétence sur le marché
de l'information économique quotidienne. Ils peuvent se permettre
de faire payer la lecture en ligne de leur journal (à ce
sujet lire notre article
je-boycotte-Nature.com). La difficulté pour Eurimed et
d'autres est d'imposer une marque.
A contrario lorsque la Fnac a choisi de faire porter ses efforts
sur le commerce électronique, le premier libraire de France
s'est rapidement imposé car il avait déjà une
connaissance du marché, possédait une marque reconnue
et des bases de données clients. Autre élément
qui joue en faveur des acteurs de l'économie traditionnelle
: la rentabilité de leurs activités leur permettent
d'équilibrer leurs centres de coûts.
Les
laboratoires demandent à voir
Si
les sites sont d'accès gratuit, il faut bien que quelqu'un
paie. Cela aurait pu être la publicité, mais les tarifs
se sont effondrés sur Internet. Quant aux laboratoires, partenaires
"naturels" des médecins, ils restent circonspects. Johnson
& Johnson déclarait l'an dernier avoir l'intention
d'investir 40% de son budget promotionnel sur Internet. Nous en
sommes bien loin aujourd'hui. Les sites santé n'ont pas encore
réussi à convaincre l'industrie pharmaceutique de
leur efficacité pour toucher les médecins. Ils n'ont
pas fait la preuve qu'ils apportaient un changement décisif
et immédiat dans leur approche. La perception de la valeur
d'usage n'étant à ce jour pas immédiate, perceptible
et tangible, la visite médicale demeure le facteur le plus
efficace pour vendre des produits, et est mesurable. La quasi-intégralité
des budgets communication-marketing des laboratoires est donc logiquement
consacrée à la visite médicale. Il faut ajouter
à cela que la mesure d'audience des sites en est encore à
ses balbutiements et un doute existe sur la fiabilité des
statistiques. Quant au profil des visiteurs, il est mal connu.
Les
acteurs de l'économie traditionnelle ont une carte à
jouer, peut-être verrons-nous les compagnies d'assurance ou
les mutuelles se lancer prochainement dans l'aventure. Des sociétés
de taille plus modeste pourront réussir, mais ce sera au
prix d'une gestion rigoureuse, d'une parfaite maîtrise de
leur métier et de l'offre d'une plus-value décisive,
car les sites santé ne sont pas simplement en concurrence
les uns avec les autres, ils doivent aussi affronter celle des autres
acteurs (presse grand public, radio, télévisions).
Reste qu'aujourd'hui personne n'a trouvé son marché.
Le chiffre d'affaires d'Eurimed avoisinait les 3 millions de francs
en 2000 et escomptait le doubler en 2001, mais cela s'est avéré
insuffisant. Réussir dans l'Internet de santé sera
plus long, plus difficile, et plus coûteux qu'on avait pu
l'imaginer.