Pourquoi
la santé française doit-elle s'intéresser à la qualité ?
D'après
un article publié dans Forum Qualité Scientifique, Automne 2000,
pp 29-35
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L'évolution
du paysage épidémiologique
L'amélioration constante de l'hygiène et des conditions
de vie transforme les pathologies observées, leur fréquence
et leur pénétration. Selon l'OMS, les maladies chroniques
provoquent 75 % des décès dans les pays industrialisés.
Les durées de contact des patients avec le système
de santé augmentent parallèlement à l'allongement
de l'espérance de vie et à la chronicité des
pathologies. Les évolutions thérapeutiques complexifient
le contenu et les modalités des prises en charge. Les durées
d'hospitalisation raccourcissent, le taux d'hospitalisation diminue
et l'ambulatoire augmente.
Les conséquences de ces données épidémiologiques
sont fortes. Par exemple, des structures de prise en charge légères
plus nombreuses et mieux réparties sur le territoire sont
nécessaires.
La
médiatisation de la santé et la poussée du
consumérisme
Le consumérisme a fait son entrée en santé.
Les patients revendiquent plus d'informations, jugent la pertinence
de la prescription et la qualité du soin, et exigent que
soit atteint un niveau maximum de sécurité.
Les patients-consommateurs comparent, se montrent plus critiques,
plus conscients de leurs droits, plus avertis, plus adultes, plus
éduqués, plus exigeants, plus revendicateurs, et moins
confiants. Ils veulent des preuves des résultats sanitaires
et plus de personnalisation et de liberté dans leurs relations
avec le système de santé.
Dans les faits, cela se traduit par des patients moins fidèles
et moins respectueux des décisions médicales. Le nomadisme
médical concerne 3 % des patients et 15 % du budget de l'assurance
maladie. La judiciarisation des relations avec les médecins
est une autre manifestation de cette évolution des mentalités
que l'on perçoit à travers l'évolution du nombre
de procès intentés aux médecins.
La
pression du contexte médico-légal
Le droit de la santé français évolue vite et
transforme la pratique médicale. Tout médecin est
tenu de donner au patient une information loyale, claire et appropriée
sur les risques liés aux investigations et soins proposés.
L'information doit porter sur tous les risques, même les plus
exceptionnels. La responsabilité du médecin est engagée
si le déficit d'information a influé sur la décision
d'acceptation des soins. Par ailleurs, il appartient au médecin
de prouver qu'il a respecté ses obligations d'information
envers son patient. Ce changement fondamental est un véritable
renversement de la charge de la preuve.
En matière d'infections nosocomiales, les jurisprudences
retiennent la présomption de faute du service public et imposent
l'obligation de sécurité de résultat. Les établissements
ne peuvent s'en libérer qu'en prouvant que le patient était
déjà infecté lors de sa prise en charge. Il
ne suffit donc plus de prouver que les règles d'hygiène
ont été scrupuleusement respectées pour écarter
la responsabilité qui est de toute façon engagée,
qu'il y ait faute ou non.
L'arrêt du Conseil d'Etat de septembre 1998 instaure le principe
de précaution. Ce n'est plus l'absence de preuve d'un risque
qu'il faut fournir mais la preuve de l'absence de risque. Or il
n'existe pas de traitement médical sans risque, si minime
soit-il.
La notion de responsabilité sans faute, reconnue par la Cour
d'appel de Paris en janvier 1999, substitue pour les médecins
l'obligation de résultat à l'obligation de moyens
et transfère par conséquence sur le corps médical
l'obligation de réparation de préjudices dus à
l'aléa ou à la maladie.
Les démarches qualité peuvent aider à limiter
les risques et à assurer la preuve et la traçabilité
des actes entrepris et de l'obligation d'information.
Les
contraintes réglementaires et la nécessaire maîtrise
des risques
Le poids des contraintes et obligations légales et réglementaires
nationales ou européennes sur le système de santé
français augmente. Elles concernent de nombreux domaines:
sécurité des personnes et des locaux, hygiène,
sécurité alimentaire, pharmacie, vigilances sanitaires,
lutte contre les infections nosocomiales, stérilisation,
sécurité anesthésique, déchets hospitaliers,
radioprotection, .
La
mise en place des programmes de disease management
L'objectif du disease management est d'optimiser les dépenses
de santé en coordonnant les soins et en éduquant les
patients. Il s'intéresse en priorité aux pathologies
chroniques et/ou coûteuses. Les dépenses médicales
sont en effet concentrées sur une faible partie de la population,
puisque 20% des patients consomment 70 à 80% des ressources.
Le disease management est un modèle de régulation
des dépenses de santé peu coercitif qui s'appuie sur
l'organisation de filières et de réseaux de soins
coordonnés. Les opérateurs de disease management se
présentent en France comme facilitateurs des soins, ayant
un rôle d'information, d'observation et de prévention.
Ils s'intéressent à l'organisation et au financement
des soins, des systèmes d'information, à l'évaluation
médico-économique, à l'élaboration de
bases de données (enquêtes épidémiologiques,
prix moyens du marché, pratiques courantes, dérives
de prix et de pratiques, critères qualité et indicateurs
qualité, bonnes pratiques) pour faire du conseil médico-social,
assuranciel et hôtelier auprès de leurs adhérents.
La
mise en place des réseaux de santé
La mise en place de réseaux de santé est lente, mais
certainement inéluctable. Le réseau permet de coordonner
efficacement les ressources nécessaires à la prise
en charge des soins et des besoins sanitaires et sociaux d'une population
identifiée. Les acteurs du réseau sont des professionnels
de santé, des prestataires logistiques et de support de communication.
Un fonctionnement efficace en réseau évite la juxtaposition
de nombreuses décisions ponctuelles individuelles sans cohérence
d'ensemble et sans organisation.
L'évolution
potentielle vers une obligation de reconnaissance de la qualité
de certaines activités médicales
Demain, les tutelles et/ou les organismes payeurs souhaiteront,
conseilleront ou exigeront peut-être une certification de
conformité à un référentiel dans certains
secteurs (par exemple les services achats, la stérilisation
hospitalière, l'imagerie médicale). Le référentiel
pourra être universel et générique (a priori
la norme ISO 9001/2000) ou un référentiel de métier
qui permettra une certification de service.
La
e-santé
Internet transforme les relations entre les patients et les professionnels
de santé, le mode d'exercice de la médecine, l'organisation
du système de soins et la gestion des informations médicales
et du dossier patient. Il permet d'accéder librement à
des programmes d'échanges de données médicales
et à des informations scientifiques. Les patients y comparent
et évaluent les stratégies diagnostiques et thérapeutiques,
les techniques, les traitements, les offres des professionnels,
les prix et les services proposés par les établissements
de santé. Le médecin n'est plus le seul interlocuteur
du patient.
Des sites en ligne proposent de virtualiser et de gérer le
dossier médical en y associant des services complémentaires
: archivage sécurisé des données, possibilités
de suivi permanent, de conseils personnalisés et d'alertes
médicalisées ciblées. Le dossier est alimenté
directement par les professionnels de santé ou par le patient
lui-même après anonymisation des données.
Les informations diffusées devront être d'autant plus
maîtrisées qu'elles seront accessibles à un
grand nombre d'interlocuteurs et que le patient s'appropriera et
contrôlera son dossier.
L'internationalisation
du marché de la santé
De nombreux arguments laissent espérer que des patients étrangers
viendront demain se soigner en France. Le prix des soins est très
élevé dans certains pays (au moins trois fois plus
cher en Suisse et en Amérique du Nord). Certains systèmes
de soins étrangers (par exemple le NHS anglais) sont plus
lents, moins réactifs et moins efficaces que le système
français. La position géographique de la France lui
est favorable. Enfin, la notoriété internationale
de la médecine française est forte. Puisque l'offre
de soins s'internationalise, les établissements de santé
français doivent se donner les moyens d'attirer cette clientèle
potentielle en lui apportant des gages de qualité pour la
convaincre de venir s'y soigner.
La
place du plateau médico-technique dans l'organisation hospitalière
Le plateau médico-technique occupe une position organisationnelle,
fonctionnelle et opérationnelle stratégique dans le
système de soins. Les techniques sont nombreuses et performantes,
mais coûteuses. Elles nécessitent beaucoup de moyens,
de compétences et de technologie.
Le plateau médico-technique est au cur de l'hôpital
et du système de santé. Il est la plaque tournante
de l'hôpital moderne. Ses interfaces sont nombreuses avec
les unités de soins, les services administratifs, les services
techniques et entre les services médico-techniques eux-mêmes.
Son influence économique est donc lourde.
Les plateaux médico-techniques ont une responsabilité
importante sur la stratégie de prise en charge, la conduite
thérapeutique à tenir et la qualité des soins.
Il s'agit donc d'un secteur de choix pour y adopter le management
qualitatif et essaimer la démarche dans l'établissement.
Dr.
Hervé Leclet "Sans une implication forte de la direction,
une démarche qualité aura beaucoup de mal à se mettre en place
et aucune chance de perdurer "