Télémédecine, Téléchirurgie,
Télédiagnostic :
essai d'identification des responsabilités des acteurs
© Raguet
/ Phanie
Maitre
Nathalie BESLAY
Avocat
au barreau de Paris
15 mai 2001
La
mise en uvre d'une relation "médicalisée"
à distance, ou télémédecine, recouvre
une multitude de réalités. Une typologie plus précise
nous permet de distinguer comme une subdivision de la télémédecine,
la télé-chirurgie qui permet à un praticien
d'opérer un patient à plusieurs centaines, voire plusieurs
milliers de kilomètres, par l'intermédiaire d'une
solution technologique intégrant des logiciels d'imagerie
médicale, des application de robotique, un système
de gestion des données.
De la même façon, le maintien à domicile des
femmes enceintes dont l'état de grossesse justifierait un
hospitalisation est permise grâce à un système
de monitoring offrant la possibilité à l'équipe
de soins de surveiller l'évolution de la patiente à
distance.
Enfin, les applications de télé-diagnostic permettent
à des praticiens de partager leur savoir faire et ainsi de
relayer leurs compétences respectives par des expertises
de pointe.
Les avantages au plan médical ne sont pas négligeables.
En revanche la mise en uvre de ce type d'applications , et
notamment l'intervention d'un tiers "opérateur technologique"
dans la relation médicale, fait apparaître de nouveaux
risques, notamment juridiques, qui doivent être pris en compte
en vue de pallier à une dilution des responsabilités.
Les
acteurs en présence
Dans
le cadre d'une application de télémédecine,
on rencontre généralement :
- le patient
- les professionnels
de santé à chaque bout de la chaîne
- les opérateurs
techniques (fabricants de matériels, fourniture des applications,
transport des données, maintenance te supervision)
- le promoteur,
c'est-à-dire celui qui prend l'initiative et qui finance
l'expérimentation, ou entendu au sens de la loi Huriet-Sérusclat,
lorsqu'on se trouve dans un contexte de recherche biomédicale.
(lire
notre article Loi Huriet : premier bilan…)
Les
droits du patient sont assez facilement définissables dans
le cadre d'une opération de télé-médecine,
en revanche les autres acteurs encourent un certain nombre d'obligations
déterminantes en fonction de leur nature et du périmètre
de leurs responsabilités.
Le
partage des responsabilités
Les praticiens
Conformément
au Code de déontologie médicale (articles 32
et 93,
décret 95-1000 du 6 septembre 1995), le médecin doit
exercer personnellement sa pratique médicale. La mise en
uvre d'une application de télémédecine
ne remet pas en cause ce principe, chaque médecin restant
personnellement responsable des actes de soins auxquels il s'est
livré.
La
jurisprudence confirme ce principe en limitant les cas dans lesquels
la responsabilité d'un médecin est susceptible d'être
engagée par un autre médecin ou professionnel de santé
ayant participé à la prise en charge du patient.
En
effet, les tribunaux retiennent la responsabilité d'un établissement
de santé en raison du statut de salarié des médecins
qui y pratiquent (1ère Civ Cour de Cassation 26 mai 1999).
En outre, la responsabilité d'un médecin n'est engagée
que dans le cas où le fautif est sous ses ordres et qui plus
est, s'il est en mesure de prévenir cet acte. En l'espèce,
un médecin a été condamné solidairement
avec une infirmière du fait des actes car celui-ci était
informé de son incompétence et n'avait pas pris les
mesures qui s'imposaient à ce titre (Cour d'Appel de Paris
21 Avril 1982).
Concrètement,
dans un cas de télé-diagnostic, le médecin
traitant qui fait appel à un confrère distant expert
par l'intermédiaire d'un réseau, n'est pas responsable
des actes de soins de celui-ci. Le diagnostic formulé par
ce confrère expert engage donc uniquement celui qui le donne.
Toutefois, la responsabilité du médecin traitant pourrait
être engagée par le patient, s'il était démontré
que ce médecin a commis une faute notamment dans le choix
de l'expert ou le contenu des informations fournies à l'expert
en vue de la formulation de son diagnostic à distance. Si
le médecin traitant participe également à la
formulation du diagnostic, sa responsabilité pourra être
engagée à ce titre.
Les deux praticiens entre eux pourront dans certains cas envisager
d'engager une action l'un contre l'autre dans le cadre d'un appel
en garantie de sa condamnation à la suite de l'action en
justice engagée par le patient, s'ils parviennent à
administrer un dossier de défense sur une base de "c'est
pas moi, c'est lui !".
A priori, en cas de litige, le départage de responsabilité
s'effectuerait sur la base de la conduite d'une expertise judiciaire
ou amiable.
Les
opérateurs techniques
Les
prestataires techniques susceptibles d'intervenir dans le cadre
de la conception et de la mise en uvre d'un réseau
de télémédecine sont nombreux. Citons les fabricants
de matériels, les fournisseurs de solution logicielles(par
exemple les éditeurs de solution en imagerie médicale),
les opérateurs de télécommunications en charge
du transport des données, les prestataires de maintenance
et de supervision.
Chacun de ces acteurs est responsable du fait des prestations mises
à leur charge, responsabilité renforcée par
une obligation de conseil particulière en leur qualité
de spécialiste du domaine.
Dans
le cadre d'un litige qui trouverait son origine dans une défaillance
technique, ou même dans une non-conformité du système,
la responsabilité du prestataire pourra dés lors être
engagée. Généralement, le praticien contre
lequel est engagée une action en justice, appelle en garantie
le ou les prestataires concernés en démontrant que
le dommage subi par le patient trouve son origine dans une défaillance
technique et donc relève de la responsabilité du prestataire.
Bien
évidemment, une obligation de vérification et de maintien
en état de sécurité et de bon fonctionnement
des outils matériels et/ou logiciels utilisés pèse
sur le médecin. En conséquence, il est impératif
de veiller à la rédaction des contrats conclu entre
les praticiens ou l'établissement de santé et les
prestataires afin d'organiser et de définir les modalités
et conditions d'exécution de leur prestations et la nature
de leurs engagements.
Au plan de la responsabilité d'abord, il conviendra de veiller
à ce que les clauses déterminent de manière
adaptée les segments de responsabilité des prestataires,
au besoin par la mise en annexe de schémas techniques permettant
d'identifier les responsabilités respectives des acteurs.
Au plan de la propriété ensuite, il s'agira de vérifier
que l'établissement dispose des droits de propriété
en intégralité sur tous les développements
spécifiques réalisés et des droits d'utilisation
nécessaire à l'exploitation de la solution.
En outre, en matière de maintenance ou de supervision, des
délais impératifs d'intervention et de correction
devront être définis précisément au contrat,
afin d'engager le prestataire concerné à leur respect.
De plus les contrats devront prévoir un certain nombre de
garanties à la charge des prestataires permettant de sécuriser
juridiquement la fourniture des prestations: garantie de sécurité
du système, garantie d'évolution, garantie de performances,
notamment.
Le
promoteur
Le
promoteur, dans le cadre d'une recherche biomédicale, assume
l'indemnisation des conséquences dommageables survenues sur
les patients qui se livrent à un essai, même sans faute
(Ancien article L 209-7 du Code de la Santé Publique, Nouveau
Code à paraître ). Il pourra éventuellement
envisager d'engager une action récursoire contre le prestataire
technique à l'origine de la défaillance. Le promoteur
doit obligatoirement déclarer à son assureur que des
opérations s'effectuent à distance, s'il souhaite
être couvert. Dans le cas contraire, l'assureur pourrait refuser
la prise en charge de l'indemnisation pour défaut de déclaration
de l'aggravation des risques.
Hors cas de recherche biomédicale, la responsabilité
de l'entité ayant pris l'initiative d'un projet de télémédecine
pourra être engagée au titre de manquements à
ses obligations de coordination, de vérification et de maîtrise
d'uvre, si cela est le cas.
Les
autres obligations
Trois
autres obligations doivent être prises en compte en télémédecine
:
- La protection
des données nominatives : une déclaration ou
une demande d'autorisation devra être effectuée devant
la CNIL au titre de la collecte, du traitement mais surtout du
transfert des données nominatives concernant les patients
(image, noms, coordonnées
). Les patients devront
être informés de leurs droits d'accès, de
rectification, d'opposition et de suppression des données
qui les concernent ; ils devront, en outre, formaliser un consentement.
- La protection
du secret médical : le secret médical continue
à s'imposer aux médecins participant au réseau.
Les patients doivent avoir préalablement donné leur
consentement. Des mesures de sécurité doivent être
mises en uvre (sur le fondement de la protection du secret
médical mais également au titre des obligations
issus de la loi Informatique, fichiers et libertés), telles
que l'utilisation de fire-wall, de solutions de cryptage et de
signature électronique.
- L'information
du patient : au regard de l'obligation particulière
qui pèse sur les médecins au titre de l'information
du patient, les praticiens devront envisager de fournir aux malades
une information complète incluant la présentation
du dispositif de télémédecine utilisé.
La preuve de cette information pesant sur le médecin lui-même,
il convient de prévoir la remise d'une petite notice explicative
en vue de préconstituer cette preuve.
La
télémédecine uvre dans le sens d'une
amélioration de la qualité et de la sécurité
des soins et permet de répondre aux problèmes à
venir du paysage sanitaire de démographie médicale,
d'accès aux soins et de régulation des dépenses
de santé. Parallèlement la société française
connaît un mouvement général qui tend à
désigner un responsable pour tout événement.
Dans ce cadre les médecins sont en première ligne.
Il y a fort à parier que les tribunaux seront de plus en
plus saisis à ce sujet.
Tout
projet de solution médicale innovante, tel que cela est le
cas d'une application de télé- médecine, s'oriente
dans le sens d'une amélioration de la qualité et de
la sécurité des soins. La mise en réseau permet
dans ce contexte de dynamiser le partage de la connaissance, de
confronter les expertises et de mutualiser les moyens.
Dans
ce contexte, l'ivresse de l'innovation ne doit pas faire perdre
de vue aux protagonistes l'impérative gestion des risques
nouveaux liés notamment à la participation d'un "tiers
technologique" dans la relation médecin/patient ou entre
les professionnels de santé.
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15
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